QUESTIONS VÉRITÉ SUR L’URGENCE SOCIALE
- Vous appelez depuis le début de votre mandat au conseil général à l’organisation d’Etats généraux de l’urgence sociale. Mais à quoi ça va servir ?
- Organiser aujourd’hui des États généraux de l’urgence sociale, alors que la révolte gronde partout, ce n’est pas trop tard ?
- D’accord, on fait des Assises avec la population. Celle-ci est appelée à faire des propositions. Mais on sait très bien que ces idées ne seront jamais appliquées, ou alors très partiellement ?
- C’est quoi, l’urgence sociale ?
- Le logement, c’est aussi une urgence sociale ? Mais faire quelles propositions quand on sait que les élus réunionnais ne peuvent pas grand chose sur ce dossier, c’est un peu inutile ?
- Il y a une loi, DALO, le droit au logement opposable. En résumé, c’est pour obliger l’Etat à donner un logement à ceux qui n’en ont pas et qui sont dans la détresse. Même avec une obligation par la loi, il y a toujours des SDF, des femmes battues qui ne savent pas où aller, et des familles qui s’entassent dans des petits appartements ! Alors qu’est-ce que ce va changer, une mesure de plus ?
- Il y avait le SAMU social. Il a fermé. Si on le remet, ça va servir à quoi ?
- Peut-on parler aujourd’hui d’insécurité sociale ?
- Est-ce le rôle des mairies et des CCAS de donner des bons alimentaires ?
- L’urgence sociale, est-ce aussi faire stopper les violences faites aux femmes ?
- On dit qu’à La Réunion, la solidarité familiale joue. Croyez-vous que c’est encore vrai ?
- Lorsqu’on parle d’Assises, on fait référence à une démocratie participative. Est-ce que tout le monde pourra s’exprimer ?
- On sait comment ça se passe, dans les Etats généraux ! On dit qu’on donne la parole à la population et ce ne sont que les associations qui peuvent parler. Ceux qui ne sont dans rien n’ont pas le droit à la parole. Alors…
- Il y a un proverbe qui dit : ou couve ti poule y sort ti kanar. Ce qu’on va dire, est-ce que sera vraiment pris en compte ?
- Vous dites toujours « mobiliser les moyens » ou « mutualiser les moyens ». Mais c’est du vent. Regardez, les assistantes sociales, il y en a et malgré tout, il y a des familles qui ne sont jamais visitées. C’est mal organisé, mais est-ce que vous êtes prêts à vous mettre les différents services d’assistantes sociales à dos (département, communes, CAF, MIO etc.) et ne faire qu’un seul service ?
- Si jamais ces Etats généraux étaient un succès, est-ce que ce ne sont pas les politiques qui vont en récupérer les bénéfices ?
- N’est-ce pas trop tard pour dire que l’on va écouter ?
- Pourquoi n’y a-t-il pas d’épicerie sociale à La Réunion ?
- N’est-on pas en train de sectoriser l’urgence sociale : des organismes spécialisés dans le logement, d’autres dans l’aide alimentaire… mais quoi de global, dans tout ça ?
- Si je vous dis que je propose la création d’un ministère des « sans » S A N S : sans papier, sans abri, sans emploi, sans revenus, sans droit, sans famille… Faute d’avoir un ministère de l’urgence sociale. Que me répondez-vous ?
- Vous parlez d’urgence sociale. Or tout le système est théoriquement fait pour que l’on soit protégé. Mais il y a des conditions. N’est-ce pas à un assouplissement de cette conditionnalité qu’il faudrait parvenir ?
- Il y a quelque chose de paradoxal : d’un côté, il y a l’urgence, de l’autre, des systèmes fonctionnarisés n’ouvrant que 5 jours sur 7, à heures fixes et limitées. L’urgence aux heures ouvrables seulement ?
- Quand on parle de prise en charge, est-ce que cela ne pose pas la question, de façon indirecte, la question d’une certaine responsabilité ou irresponsabilité de ceux qui sont en difficulté ?
1) Vous appelez depuis le début de votre mandat au conseil général à l’organisation d’Etats généraux de l’urgence sociale. Mais à quoi ça va servir ?
Je l’ai proposé avant même mon élection, lors de la campagne électorale.
Les événements de février ont montré une évidence : il y a un décalage entre ce que les élus proposent et ce que la population attend.
Pour les gens qui souffrent l’élu est un homme miracle, un Zorro, en quelque sorte. Autre enseignement : la population estime que l’on ne vient la voir que lorsqu’il y a des élections et que la plupart du temps, elle est ignorée.
Des assises de l’urgence sociale permettaient de donner la parole et de répondre à cette demande, en dehors de la période des élections.
Akout anou, et antande nout message !
C’est la seule façon de faire pour que l’urgence sociale à La Réunion soit reconnue comme grande cause nationale, et que les propositions soient reprises dans les programmations futures de l’Etat dans un vrai projet de société et de développement pour La Réunion avec une vision à long terme.
2) Organiser aujourd’hui des États généraux de l’urgence sociale, alors que la révolte gronde partout, ce n’est pas trop tard ?
Près d’un an de retard a été pris.
Mais le travail en interne au conseil général a déjà commencé par une mise à plat des interventions sociales pour les optimiser par rapport à un contexte social nouveau et dégradé.
Il s’agit de le prolonger par une large concertation.
Cela n’est pas fini. Je ne veux pas mentir : la crise n’est pas encore finie.
La Réunion a une population qui augmente ; les jeunes sont nombreux mais la population réunionnaise vieillit.
Répondre à l’urgence, tout de suite, par l’attribution d’une augmentation de 200 euros sur les bas salaires, c’est une chose. Mais comment faire pour que, dans les années à venir, nos enfants, nos petits-enfants, soient protégés ? C’est ça, l’un des objectifs : faire ensemble quelque chose. C’est ce que l’on appelle l’appropriation d’un problème et des solutions par la population.
3) D’accord, on fait des Assises avec la population. Celle-ci est appelée à faire des propositions. Mais on sait très bien que ces idées ne seront jamais appliquées, ou alors très partiellement ?
Ne soyons pas défaitistes tout de suite !
C’est vrai, il y a eu des Assises sur l’illettrisme, sur l’emploi, sur le logement…
Et cela a permis quand même de faire avancer les problèmes.
Est-ce que les gouvernements successifs nous auraient écoutés si nous n’avions pas, à La Réunion, parler d’illettrisme ? Ou d’agriculture ?
Est-ce qu’on doit toujours attendre que les autres fassent pour nous, à notre place ?
Nous sommes capables de nous entendre. Encore faut-il que s’écouter l’un l’autre.
4) C’est quoi, l’urgence sociale ?
Ce sont tous les problèmes qui, d’une façon ou d’une autre, font que des femmes, des hommes, des enfants, ne vivent pas dans des conditions minimum de sécurité et de bien être.
Ce sont les personnes qui sont SDF.
Ce sont les personnes qui vivent à plusieurs générations dans le même appartement.
Ce sont ces enfants qui ne peuvent étudier et faire le devoir, faute de place chez eux, ou faute d’électricité ou parce que les parents ne peuvent pas, pour de multiples raisons, assurer le relais d’éducation.
Ce sont ceux qui ne peuvent pas manger tous les jours à leur faim.
Ce sont des femmes qui sont battues par leur compagnon. Ces enfants victimes de coups. Ces gramounes subissant de mauvais traitements.
La liste est longue, très longue.
À la Réunion 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
5) Le logement, c’est aussi une urgence sociale ? Mais faire quelles propositions quand on sait que les élus réunionnais ne peuvent pas grand chose sur ce dossier, c’est un peu inutile ?
Oui, le logement est une urgence.
À la fois pour ce que l’on appelle l’hébergement d’urgence, pour les femmes battues, par exemple, ou pour les SDF, ou ceux qui pour une raison ou une autre, sont privés de logement de façon temporaire.
Mais c’est aussi une urgence pour les milliers de familles réunionnaises qui attendent un toit.
Lorsque vous dites que les élus réunionnais ne peuvent pas grand chose, vous mettez le doigt sur une réalité : le logement est une compétence de l’Etat. Et celui-ci ne remplit pas ses obligations : assurer un toit pour tous.
Maintenant, il y a tout de même une toute petite marge de manœuvre pour les collectivités locales.
Et les élus ont la responsabilité de rester en vigilance permanente et interpeller les autorités compétentes pour faire avancer la résolution de problèmes pour la population qui lui a fait confiance en lui accordant ses suffrages.
6) Il y a une loi, DALO, le droit au logement opposable. En résumé, c’est pour obliger l’Etat à donner un logement à ceux qui n’en ont pas et qui sont dans la détresse. Même avec une obligation par la loi, il y a toujours des SDF, des femmes battues qui ne savent pas où aller, et des familles qui s’entassent dans des petits appartements ! Alors qu’est-ce que ce va changer, une mesure de plus ?
La loi DALO, droit au logement opposable, est, en soi, une excellente chose.
Mais c’est son application qui fait défaut.
Mais, enfin, il y a eu une avancée. C’est un rappel à l’ordre du conseil d’Etat.
En effet, cette haute juridiction a estimé, dans un arrêt, que la carence caractérisée des autorités dans l’offre d’hébergement d’urgence aux sans-abri est une atteinte grave à une liberté fondamentale.
C’est un arrêt historique pour toutes les associations. Le conseil d’Etat, et c’est encourageant, a rejeté les argumentations du gouvernement, présentées en défense, selon lesquelles l’administration a le droit « d’établir une hiérarchie dans les situations d’urgence ».
Il a cependant précisé qu’il appartient aux juges d’examiner au cas par cas les démarches des autorités pour voir si elles se sont conformées à la loi.
Cette phrase du conseil d’Etat aussi est intéressante : « Il appartient aux autorités de l’État de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale ».
Détresse sociale. C’est écrit en toutes lettres. Maintenant qu’une brèche est ouverte, pourquoi ne pas s’y engouffrer.
Et cela n’est pas uniquement de la compétence des élus ou des collectivités. La plainte peut être posée par des associations ou des particuliers.
7) Il y avait le SAMU social. Il a fermé. Si on le remet, ça va servir à quoi ?
Non, le SAMU social n’a pas fermé. Son fondateur, Xavier Emmanuelli, a claqué la porte pour faire comprendre que la politique, telle qu’elle était menée dans ce domaine, n’était pas efficace.
Je suis profondément choqué de voir que Mme et M. Sarkozy ont « visité un centre d’hébergement du SAMU social », quelque part dans la région parisienne.
C’est révélateur de l’état d’esprit de ceux qui ont fait ces visites : on va visiter les pauvres, comme l’avaient fait autrefois les dames patronnesses.
Ou qu’il y avait des « bureaux de bienfaisance » ; d’ailleurs, je me souviens d’avoir vu ce panneau « bureau de bienfaisance », il y a moins de 20 ans.
C’était rue Pasteur, à la mairie de Saint-Denis. Il y a d’autres dispositifs, comme celui mis en place par le Département, le numéro vert, le 115.
Mais est-ce que ces moyens sont suffisants pour répondre aux demandes ?
8) Peut-on parler aujourd’hui d’insécurité sociale ?
C’est une question qui a fait l’objet d’un livre, écrit par Robert Castel. Il précisait également : « qu’est-ce qu’être protégé ? ».
Qu’il y ait un sentiment d’insécurité grandissant, chacun le reconnaît.
Et pas simplement par rapport à ce que l’on pourrait appeler « faits divers », mais insécurité par rapport à son emploi, la peur de le perdre, pareil pour le logement.
On est aussi en insécurité lorsqu’on consomme … des médicaments (je pense par exemple au Mediator ).
Tous ces sentiments de peur illustrent en fait le sentiment d’être dans une société qui ne fait pas un compte avec vous.
Quand on ne sait pas de quoi demain sera fait, il est bien évident que l’on est en situation d’insécurité.
En substance, Robert Castel explique que le sentiment d’insécurité, ce n’est pas la peur du risque.
Et cela vient jeter une grosse pierre dans le jardin de ceux, à l’UMP par exemple, ou au sein de la Droite Sociale, estiment que les revendications sociales ne sont que des plaintes d’assistés qui souhaitent conserver leur confort et ne pas travailler.
Car avant de vouloir prendre des risques, ou des initiatives, il faut avoir les moyens matériels de le pouvoir.
9) Est-ce le rôle des mairies et des CCAS de donner des bons alimentaires ?
Nous ne sommes pas encore, à La Réunion, fort heureusement, dans les émeutes de la faim.
Mais en est-on vraiment si loin ? Je n’en suis pas sûr.
Lorsque vous voyez des mères de famille, avec une poussette et un marmay dedans, récupérer un ballot de riz chez un grossiste au Port, lors des événements des 21 et 22 février, qu’est-ce que cela veut dire ?
Qu’elle est une voleuse ?
Ou qu’elle récupère cela, parce qu’elle n’est pas sûre de pouvoir faire fonctionner la marmite à riz tous les jours ?
Aujourd’hui, les CCAS des communes sont de plus en plus sollicités par la population pour avoir des bons ou des colis alimentaires.
Croyez-vous qu’on puisse, en tant qu’élu comme en tant que citoyen, dire non, ce n’est pas de ma compétence ?
Ce serait de la non assistance à personne en danger.
Encore une fois, dans une situation d’urgence, il faut une réponse immédiate.
Les CCAS l’apportent, dans la mesure de leurs moyens.
Vous le savez, l’UMP a gelé les dotations aux collectivités, donc aux communes, et que celles-ci, comme le Département, doivent faire plus avec moins d’argent.
Cela ne doit pas cacher le fonds du problème : chacun doit pouvoir manger à sa faim.
C’est un problème grave et qui va se poser de plus en plus.
Parce que l’on est de plus en plus nombreux sur terre et parce que de plus en plus, des grands consortiums internationaux, réquisitionnent des terres, monopolisent les produits, organisent tout à leur seul profit.
Alors, oui, les CCAS doivent répondre à cette urgence sociale, mais encore une fois, il faut aussi se préoccuper de demain.
Ces Etats généraux de l’urgence sociale, je le rappelle, seront aussi bien le lieu pour faire des propositions que pour faire part de ses problèmes.
C’est aussi une occasion pour faire passer des messages.
L’occasion de redonner des couleurs au vivre ensemble.
10) L’urgence sociale, est-ce aussi faire stopper les violences faites aux femmes ?
Absolument ! Et cela pose plusieurs défis à relever.
L’urgence de trouver des solutions immédiates pour les héberger, avec leurs enfants.
Leur trouver un logement, et créer les conditions pour qu’elles ne soient plus harcelées et sous la pression de leur « compagnon » ou d’autres proches.
On a parlé d’une loi cadre ; des dispositifs existent ; mais, là encore, ils ne sont pas appliqués !
Un simple rappel : 2010 avait été déclarée par le Président de la République année consacrée à la « lutte contre les violences faites aux femmes ». Résultat : espoir déçu chez les associations qui espéraient une amélioration de la prise en charge des femmes victimes de violences.
On peut encore, en 2012, souligner l’absolue nécessité, outre l’application réelle de la loi et de toute la loi, que soient renforcées la prévention, la protection des victimes et la punition des auteurs.
Je peux aussi vous renvoyer à un article paru sur mon blog ; http://blog.pierreverges.fr/causes-des-femmes/a-une-epoque-ou-les-violences-contre-les-femmes-se-multiplient-une-contribution-au-debat-faut-il-une-education-neutre.
Et peut-être aussi, une note d’optimisme :
11) On dit qu’à La Réunion, la solidarité familiale joue. Croyez-vous que c’est encore vrai ?
C’est le point fondamental de la cohésion de notre société.
La solidarité familiale est à la source de notre force et a permis au peuple réunionnais de traverser bien des épreuves de son histoire.
L’évolution des modes de vie et la société moderne laissent émerger de nouveaux modes de relations intra familiales.
D’abord il y a de plus en plus de familles monoparentales, la vie moderne impliquant la hausse du travail des femmes, la hausse de l’espérance de vie, font que des difficultés surgissent pour garder des parents âgés avec des soins adaptés dans le foyer des enfants parfois.
Ceci étant, malgré tout, les conditions sociales font que de nombreuses familles sont tenues de vivre à plusieurs générations sous le même toit, ce qui contribue à maintenir la solidarité familiale.
Donc en définitive même si elle s’essouffle, la solidarité familiale à La Réunion reste imprégnée dans le quotidien des réunionnais.
Sinon, la situation explosive aurait dégénéré.
12) Lorsqu’on parle d’Assises, on fait référence à une démocratie participative. Est-ce que tout le monde pourra s’exprimer ?
C’est bien le but. Tout du moins, c’est bien comme cela que je l’entends, en tant qu’homme politique responsable. Maintenant, ce n’est pas moi qui suis aux commandes de l’opération et de l’organisation.
Il aurait été souhaitable que tout cela soit lancé dès la mise en place de la nouvelle équipe du Département, afin que l’on puisse travailler sereinement, dans le calme, avant toute élection.
La présidente Nassimah Dindar a choisi de faire différemment, de faire traîner les choses en longueur, de renvoyer des motions d’urgence et de faire porter le dossier par des administratifs.
Bien sûr, qu’il y a une partie administrative qu’il faudra bien mettre en place ; mais le tempo, ce sont les politiques qui le donnent.
ON n’a pas voulu que cela se passe ainsi. Résultat : rien n’est encore acté, aucune décision n’a été prise, et le dossier a été mis de côté ou porté par des administratifs qui n’ont reçu aucune consigne.
Ce ON, vous savez qui c’est. En ce qui me concerne, c’est clair, j’ai toujours dit et écrit comment je concevais ces assises. Je vous renvoie sur mon blog : http://blog.pierreverges.fr/social/social-a-propos-des-assises-de-lurgence-sociale-organisees-par-le-departement
13) On sait comment ça se passe, dans les Etats généraux ! On dit qu’on donne la parole à la population et ce ne sont que les associations qui peuvent parler. Ceux qui ne sont dans rien n’ont pas le droit à la parole. Alors …
L’un ne doit pas empêcher l’autre.
Il y a des moyens pour que chacun s’exprime : dans des réunions publiques, mais ce n’est pas toujours facile de prendre la parole en public ; il y a aussi les radios, les télés, surtout au nom du service public.
Il y a aussi les moyens numériques (internet etc.), mais cela ne concerne pas tout le monde.
Il y a aussi les rencontres avec la population.
Quant aux groupes organisés, bien sûr, ils auront la parole.
Mais cette parole n’est légitime que si elle vient de celles et ceux qui composent le groupe ; un collectif d’habitant du Chaudron, des Camélias, de la cité Maloya connaît la population, même si le collectif n’a pas une existence réelle juridiquement, il est représentatif du groupe.
Chacune et chacun doit réfléchir, proposer et écouter. Valable pour les politiques comme pour la population.
14) Il y a un proverbe qui dit : ou couve ti poule y sort ti kanar. Ce qu’on va dire, est-ce que sera vraiment pris en compte ?
Il y a aussi un autre proverbe qui dit qu’on ne fait pas la boue avant la pluie !
Regardez, dans les enquêtes publiques, les citoyens émettent des avis. Certains sont pertinents d’autres moins.
S’il y avait une proposition qui dise qu’il faut que tout le monde gagne 2.000 euros, je dirais que c’est bien, mais que c’est complètement irréaliste.
Mais si l’on dit que le salaire minimum doit être relevé pour qu’il y ait une augmentation du pouvoir d’achat, oui.
Fixer un montant ? Non. Car cela voudrait dire qu’on accepte obligatoirement que le prix actuel est le « juste prix ». Et chacun de nous sait que ce n’est pas vrai.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas augmenter les salaires…
Mais même en relativisant les propositions un peu … utopistes, il y a quand même quelque chose que l’on doit respecter : la parole.
La parole donnée, bien sûr ; mais le fait de donner la parole.
Ce qui va être dit, même si c’est irréaliste, permettra de libérer la parole, comme disent les sociologues. Et ça, c’est primordial.
15) Vous dites toujours « mobiliser les moyens » ou « mutualiser les moyens ». Mais c’est du vent. Regardez, les assistantes sociales, il y en a et malgré tout, il y a des familles qui ne sont jamais visitées. C’est mal organisé, mais est-ce que vous êtes prêts à vous mettre les différents services d’assistantes sociales à dos (département, communes, CAF, MIO etc.) et ne faire qu’un seul service ?
Ce sera probablement l’un des thèmes à aborder lors de ces Etats généraux : si la participation de la population est indispensable, celle des professionnels est également fortement nécessaire.
Vous évoquez la question des assistantes sociales. C’est vrai, il y en a dans presque toutes les collectivités ou structures (CAF etc.).
Vous avez raison, il y a des familles qui « échappent » à tout suivi. Cela n’est pas acceptable. Comment s’organiser ?
Mutualiser ? Oui, bien sûr.
Suivre la personne en tant que telle et non pas parce qu’elle est allocataire de telle pension, ou qu’elle habite dans telle ville, ou qu’elle relève de tel régime… non, l’être humain ne peut pas être saucissonné comme ça.
La mobilisation des moyens – bien sûr, c’est un langage politiquement correct – mais cela ne veut pas dire qu’on ne fait rien.
Encore une fois, ces Etats généraux doivent être l’occasion de tout remettre à plat, de voir comment on peut faire, en mettant dans un pot commun tous les moyens financiers, en coupant peut être des prérogatives de certains, des « chasses gardées ».
16) Si jamais ces Etats généraux étaient un succès, est-ce que ce ne sont pas les politiques qui vont en récupérer les bénéfices ?
Non, c’est La Réunion qui va en récupérer les bénéfices, parce qu’on aura prouvé plusieurs choses :
- d’abord, que l’on est capable de s’écouter, de s’entendre, de réfléchir, de discuter, de partager, de dialoguer et de construire.
- ensuite, que l’on est responsables et que l’on peut faire face, prendre notre destin en main et construire notre avenir et celui de nos enfants.
- enfin, parce que toutes celles et tous ceux qui auront participé à ces Assises sauront qui a dit quoi ou proposer quoi.
S’il venait à un politique l’idée de s’approprier une solution donnée par d’autres, vous croyez qu’il aurait encore un bel avenir ? La sanction tomberait vite : il ne serait plus élu.
Vous parlez en cas de réussite : mais en cas d’échec, la responsabilité sera collective. Ou on gagne ensemble ou on perd ensemble. Mais c’est ensemble.
17) N’est-ce pas trop tard pour dire que l’on va écouter ?
Il n’est jamais trop tard pour écouter.
Pendant des années, une chape de plomb a été posée sur La Réunion. La parole a été libérée.
Rappelez-vous, dans les années 1990, les radios doléances, où les Réunionnais pouvaient – enfin – interpeller les hommes politiques en direct.
Ce fut une grande avancée pour libérer la parole. Bien sûr, comme toujours quand on est privé de quelque chose pendant longtemps, on use de ce bien et on en abuse.
Il y a eu des abus, des dérives. Elles se font sur les radios, sur les blogs, c’est un défouloir. Les gens écrivent non pour dire ce qu’ils pensent, ou ce qu’ils proposent, mais pour insulter. J’en sais quelque chose.
Mais ce n’est pas parce qu’une poignée d’individus se répand en invectives qu’il faut fermer les blogs !
Ce n’est pas parce qu’on a trop attendu pour libérer la parole et donner à l’écoute tout son sens qu’il ne faut pas le faire !
18) Pourquoi n’y a-t-il pas d’épicerie sociale à La Réunion ?
Il y a des épiceries sociales, adossées à des associations.
Certaines communes ont déjà lancé la réflexion et les projets devraient rapidement sortir.
Bien sûr, il faut trouver des solutions immédiates à des problèmes urgents.
L’épicerie solidaire est certainement le vecteur permettant de passer d’une exclusion totale, où l’individu n’a plus rien, à un début d’insertion, où l’individu commence à retrouver des points de repère.
Mais le mot épicerie me plait bien, car il renvoie à la notion de petit commerce, de lien de proximité.
C’était l’époque du « carnet », de la relation de confiance entre un commerçant et ses clients.
Je ne dis pas qu’il faut revenir à cela ; je dis juste qu’il y avait, auparavant, des systèmes non régulés par l’Etat ou les pouvoirs publics, qui permettaient d’éviter toute situation d’extrême détresse.
Mais les choses ont changé. Les commerçants voudraient peut être bien remettre ça au goût du jour, mais cela ne leur est pas possible !
La faute à cette avalanche de règlements, décrets, arrêtés, etc. qui font que le crédit est quelque chose de bien organisé ; et que les comptes de gestion visés par les experts et autres commissaires ne laissent aucune place à ce genre d’initiative.
19) N’est-on pas en train de sectoriser l’urgence sociale : des organismes spécialisés dans le logement, d’autres dans l’aide alimentaire… mais quoi de global, dans tout ça ?
Vous posez une question intéressante : doit-on considérer un individu par ce qu’il est ? Allocataire du RSA, femme seule, porteur de handicap, privé d’emploi, jeune, vieux etc.
Ne doit-on pas considérer un individu en tant que tel : un être humain qui a besoin de se loger, de se nourrir, de se déplacer, de vivre, de s’amuser, de travailler, de s’instruire, d’avoir droit à la santé, à des lunettes etc.
La sectorisation actuelle peut être corrigée par la mutualisation des moyens, humains et financiers.
Mais cela suppose de changer de système. C’était l’un des points que j’espérais voir abordé lors de ces Assises.
20) Si je vous dis que je propose la création d’un ministère des « sans » S A N S : sans papier, sans abri, sans emploi, sans revenus, sans droit, sans famille… Faute d’avoir un ministère de l’urgence sociale. Que me répondez-vous ?
Quel humour ! Quelle vision de la société.
Mais finalement, vous n’avez peut être pas tort.
Il y a les « sans », ceux qui n’ont rien et qui sont les plus nombreux à La Réunion.
Et ceux qui ont, parfois pas grand chose, bien sûr. Mais c’est déjà ça.
Un ministère de l’urgence sociale ? Je doute de l’efficacité d’une telle usine à gaz.
Parce que justement, l’urgence sociale doit trouver une réponse immédiate.
Tous les circuits officiels sont trop longs.
Maintenant, la question est de savoir à quel échelon doit se situer la réponse la plus efficace : la région ? Le département ? La structure intercommunale ? La commune ? Le quartier ? Il y à là une réflexion à mener …
21) Vous parlez d’urgence sociale. Or tout le système est théoriquement fait pour que l’on soit protégé. Mais il y a des conditions. N’est-ce pas à un assouplissement de cette conditionnalité qu’il faudrait parvenir ?
Est-ce qu’il faut parler de conditionnalité des aides ?
Ou fait-il parler du contexte ?
Conditionner les aides par rapport à une grille standard ?
Que signifie la question du quotient familial ?
N’y aurait-il pas d’autres critères ?
Je vous laisse réfléchir à tout cela… dans l’attente des Etats généraux.
22) Il y a quelque chose de paradoxal : d’un côté, il y a l’urgence, de l’autre, des systèmes fonctionnarisés n’ouvrant que 5 jours sur 7, à heures fixes et limitées. L’urgence aux heures ouvrables seulement ?
C’est vrai que l’institutionnalisation des aides, celles qui sont données par les collectivités, ne permet pas une réponse immédiate.
Il y a quand même urgence et urgence.
Je comprends qu’il faut qu’une femme puisse trouver dans l’heure une solution si elle quitte son domicile pour fuir les coups de son mari.
Encore faudrait-il que ces solutions existent. C’est bien cela, le problème : les solutions, les foyers d’accueil, il n’y en a pas ou pour le moins pas beaucoup.
Parce que les institutions, dirigées par des élus, n’anticipent pas !
Un SAMU social devrait répondre aux urgences les plus graves.
Mais cela ne veut pas dire qu’il faut prioriser les urgences.
Cela n’est pas seulement du ressort des collectivités.
Un exemple : discutez avec les personnels des urgences dans les hôpitaux : beaucoup vous diront que certains patients viennent aux urgences non parce qu’il est question de vie ou de mort, mais parce qu’il n’y a aucune solution alternative.
Les urgences, dès lors, ont un rôle qu’elles ne devraient pas avoir ; c’est par défaut que l’on va aux urgences.
Et si le défaut s’installe, le réflexe d’aller aux urgences devient tellement ancré dans les mentalités qu’il n’est pas facile de faire changer les habitudes.
23) Quand on parle de prise en charge, est-ce que cela ne pose pas la question, de façon indirecte, la question d’une certaine responsabilité ou irresponsabilité de ceux qui sont en difficulté ?
C’est une question assez philosophique !
Que veut dire prendre en charge ?
Se substituer totalement à quelqu’un ?
Ou l’accompagner, pendant un temps, dans ses démarches, afin qu’il sorte de ses difficultés ?
Prendre en charge quoi : des frais ? Des actes ? Des hommes ?
Le système de protection sociale tel que nous l’avons reçu de nos ancêtres, à la Libération, repose sur la solidarité.
La prise en charge par la Sécurité Sociale des frais d’opérations, de médicaments etc. est-ce penser que la personne n’est pas responsable ?
Cela ne viendrait à l’idée de personne ! Quand des grosses entreprises demandent à l’Etat de prendre en charge une partie de leurs cotisations, qu’est-ce que c’est ? De la solidarité ou l’expression d’une irresponsabilité de l’entrepreneur ?
Mais la question même provocante, nous renvoie à la façon dont nous voyons les autres : comme des « assistés » ou des « défavorisés ».
Là le clivage est 100% politique, non ?